Appel à communications des quatrièmes Journées d’histoire industrielle (2010)
Conseil scientifique : Jean-Claude Daumas (Institut universitaire de France, Université de Franche-Comté), Michel Hau (Institut universitaire de France, Université de Strasbourg), Bernard Jacqué (Université de Haute-Alsace), Pierre Lamard (Université de Technologie de Belfort-Montbéliard), Nicolas Stoskopf (Université de Haute-Alsace), Laurent Tissot (Université de Neuchâtel).
Art & industrie : un tel rapprochement sentait le soufre au XIXe siècle ! Nombreux furent ceux qui, à la suite de Ruskin et Morris, nièrent tout lien possible entre les deux. La mécanisation et la fabrication en grande série n’étaient-elles pas antinomiques avec le geste de l’artiste, le talent ou le génie, l’unicité de l’œuvre d’art ? Aujourd’hui, cette opposition nous paraît totalement démodée. De la promotion du produit industriel en objet d’art, Roland Barthes donne une illustration, et en même temps une définition parfaite, lorsqu’il voit dans la DS 19 « l’équivalent assez exact des grandes cathédrales gothiques », c’est-à-dire « une grande création d’époque, conçue passionnément par des artistes inconnus, consommée dans son image, sinon dans son usage, par un peuple entier qui s’approprie en elle un objet parfaitement magique » (Mythologies). Comment l’art a-t-il investi l’industrie au point de se rendre indispensable à la réussite commerciale d’un produit ? Répondre à cette question permet en réalité de revisiter une grande partie de l’histoire manufacturière puis industrielle depuis le XVIIIe siècle.
Trois approches seront privilégiées :
D’une part, on s’intéressera à la façon dont la dimension artistique a résisté à la mécanisation dans le secteur des arts appliqués, comme l’indiennage, le papier peint, la céramique, le verre, l’orfèvrerie ou l’ébénisterie, et inversement on analysera comment la recherche du beau a conquis d’autres fabrications dès lors que l’on quittait le registre des produits de première nécessité et qu’il fallait séduire une clientèle exigeante. On retrouve des préoccupations analogues dans l’architecture industrielle, dans la publicité ou dans l’emballage. Il y a lieu d’établir des chronologies, d’interroger les causalités et de décrire les processus qui ont conduit à ces évolutions.
L’industrie a émancipé l’art des canons esthétiques traditionnels : elle a progressivement créé des formes libérées des contraintes de l’ornement, faisant entrer l’art dans la modernité. Ainsi, l’architecte Adolf Loos proclame en 1907 que « l’ornement est un crime ». Dans le développement des bureaux de style, des agences d’esthétique industrielle et finalement du design, il faut faire la part des innovations technologiques, notamment dans le domaine des matériaux, des exigences de fonctionnalité et des recherches formelles. L’artiste n’est-il pas alors contraint de s’effacer devant un cahier des charges castrateur ? A contrario, l’idée selon laquelle la forme suivrait la fonction n’est-elle pas trop facilement et communément admise ? Des études de cas devraient permettre de préciser ces différentes interrogations jusqu’au concept de « design démocratique » cher à Philippe Stark.
Enfin, se posent les question plus concrètes de l’évolution du statut du créateur, dans ou en dehors de l’entreprise, anonyme ou identifié, et de la protection des œuvres. Les pratiques inventives tangentes à l’acte artistique amènent à réfléchir sur la notion des compétences, donc à l’évolution des formations, à leur pluralité et aux itinéraires respectifs (architecte, ingénieur, artiste…). L’apparition de disciplines récentes (ergonomie, cognition, écologie…) comme de nouvelles techniques (laser, réalité virtuelle ou augmentée, holographie…) ne modifie-t-elle pas aussi bien les conditions de création que les structures dans lesquelles s’épanouissent les grands courants contemporains ? Il s’agira par incidence de porter aussi un regard sur les nouveaux métiers (graphiste, styliste, analyste de style, anthropotechnicien…) ainsi que sur les préoccupations industrielles en émergence comme le packaging.
Bernard Jacqué, maître de conférences à l’UHA
Pierre Lamard, professeur à l’UTBM
Nicolas Stoskopf, professeur à l’UHA, directeur du CRESAT