Introduction

Le programme franco – allemand ANR – DFG TRANSRISK² (2014 – 2017) s’inscrit dans le prolongement du programme TRANSRISK (2008 – 2011). D’abord sur un plan spatial avec une extension de la zone d’étude (rivières du Bas – Rhin, vallée de la Moselle , Sarre, Neckar, Nagold), ensuite à travers le développement de nouvelles thématiques telles que l’application d’une méthode historico – progressive pour reconstituer les inondations passées (extension, hauteurs d’eau, etc.), l’étude des vulnérabilités (économiques et institutionnelles), du rôle des changements dans l’occupation des sols, ou encore des perceptions. Ces nouvelles thématiques expliquent l’arrivée dans l’équipe de TRANSRISK de nouveaux partenaires tels que le LMIA à l’UHA, pour l’application des logiques floues à la classification des inondations, l’ENGEES à Strasbourg, pour la réalisation des enquêtes ou de l’étude de la vulnérabilité, ou les ingénieurs du KIT de Karlsruhe, pour la modélisation des crues historiques. Les deux programmes ayant déjà fait l’objet de présentations dans des numéros antérieurs des Actes du CRESAT, on ne développera ici que quelques aspects de TRANSRISK².

État d’avancement de la recherche des inondations historiques dans les archives

En effet, débuté en mars 2014, TRANSRISK² est pour l’instant dans sa phase initiale de collecte des données historiques, réalisée en parallèle en France et en Allemagne, par Iso Himmelsbach (IPG Freiburg), Lauriane With et Charlotte Edelblutte (CRESAT Mulhouse), ainsi que, dans le cadre de stages de master, par des étudiants de Strasbourg et Reims. A la date du 1er mai 2015, la base de données TRANSRISK comprend plus de 4500 événements répartis entre 1480 et 2014 (Tab.1).

Enquête historique terminée Enquête historique en cours Enquête historique à venir
France Largue, Thur, Doller, Lauch, Fecht, Liepvrette, Moselle, Rhin Ill, Giessen, Bruche, Zorn, Sarre, Moder Lauter, Weiss
Allemagne Wiese, Kander Klemmbach, Neumagen, Dreisam, Elz, Schutter, Kinzig, Mosel, Rhein Murg, Neckar, Nagold Main
Suisse Birse, Allaine, Rhin, Aar

Tab. 1 : état d’avancement de la collecte des informations sur les inondations historiques

Cette base de données constitue évidemment le coeur du programme TRANSRISK et sert de support au développement de nouvelles thématiques : évaluation des vulnérabilités, enquêtes sur les perceptions, démarche historico – progressive.

Base de données en ligne sur les inondations historiques

Mais une des ambitions premières du programme TRANSRISK² est d’assurer, d’une part, la pérennité et la durabilité de la base de données, d’autre part de favoriser son accessibilité au plus grand nombre, que ce soit dans le milieu académique et auprès du public. Pour se faire, la base de données initiale conçue sous logiciel Access par Iso Himmelsbach, va progressivement basculer vers la plate – forme collaborative TAMBORA (the climate and environmental history collaborative research environment, www.tambora.org). Ce programme à destination des chercheurs, financé par le DFG, vise à collecter et à rendre accessible et comparable toutes les informations relatives à la climatologie historique à l’échelle mondiale. Mais la base de données a également vocation à participer à la (re)constitution d’une culture du risque chez les acteurs des scènes locales du risque à l’échelle régionale, c’est-à-dire dans un contexte transfrontalier. Il s’agit ici d’un aspect essentiel du programme TRANSRISK² : permettre à tous les publics, l’accès et le partage des informations sur les inondations historiques. C’est à cet effet qu’a été créé le site ORRION (Observatoire Régional des Risques d’inondation, www.orrion.fr), qui constitue non seulement  la vitrine du programme TRANSRISK², mais aussi le support nécessaire à la politique de prévention du risque d’inondation qui, faute d’événements locaux récents, a du mal à se mettre en place en Alsace. Et force est de constater que l’absence de réelle culture du risque concerne autant le public que les services de l’Etat. En effet, lorsqu’est menée une action de prévention du risque d’inondation, le recours aux événements anciens permet tout autant de faire œuvre de pédagogie que de légitimer la procédure, parfois de manière un peu abusive. Ainsi trouve-t-on au début de la plaquette d’information sur les Plans de Prévention des Risques d’Inondation (PPRI) éditée au début des années 2000 par les services de la Direction Départementale de l’Agriculture et de la Forêt du Haut – Rhin (DDAF) : « L’Alsace n’a plus connu de crue exceptionnelle depuis 1910. En presque un siècle, le risque d’inondation s’est donc naturellement effacé de nos mémoires ». Une affirmation pour le moins paradoxale car, si cette évocation renvoie indubitablement à la dimension dramatique des événements s’étant produits à Paris en 1910, les inondations de cette année-là, pourtant remarquables (Fig. 1),  ne sont aucunement prises en compte dans le Haut – Rhin où seules les inondations de 1983 et 1990 servent de référence à la réalisation des PPR.

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Fig. 1 : dégâts causés par les inondations de 1910 dans le Fossé Rhénan

On a pu montrer (Martin et al. 2011) dans le cadre du programme TRANSRISK que, bien que légitimes en tant qu’événements de référence, les inondations de 1910 (et bien d’autres au moins aussi importantes) étaient devenues notoirement méconnues, pour des raisons multiples, propres à l’histoire compliquée de l’Alsace au cours des 2 derniers siècles, voire à l’éparpillement et à la désorganisations des archives des administrations en charge de la question. Pire, cette méconnaissance des risques était partagée par l’ensemble des acteurs des scènes locales du risque, posant des problèmes d’acceptation des risques et de leur gestion, et de vulnérabilité additionnelle en termes de comportement avant, pendant, après les crises. D’où l’idée dans le cadre du nouveau programme TRANSRISK², en accord avec les besoins des acteurs des administrations et de collectivités territoriales, de la mise en place d’une base de données en ligne, participative (ORRION), simple d’accès et d’utilisation[1], destinée à informer et à partager les informations en matières de géohistoire des risques, en s’inscrivant dans le contexte particulier d’un territoire transfrontalier. ORRION sera donc bilingue (français et allemand). Dans une logique de partage, de communication et d’information, ORRION bénéficie d’un relais sur Facebook[2] destiné à accroitre sa visibilité. Le site est opérationnel et en cours de développement depuis janvier 2015 en ce qui concerne l’Alsace et les inondations, avant d’être étendu aux coulées de boue, aux avalanches (ORRIA) courant 2015, et au Pays de Bade (ALL) en 2016, puis au NO de la Suisse. Participatif, ORRION a par ailleurs pour but de recueillir de nouvelles informations utiles pour TRANSRISK² grâce aux contributions du public et de permettre encore davantage cette réappropriation de la mémoire du risque mise à mal par les mobilités, la perte de transmissions intergénérationnelles, l’individualisme, l’excès d’information, la mémoire à court terme, la déresponsabilisation des acteurs, etc.

TRANSRISK², répondre aux besoins des acteurs

Or les besoins des acteurs de la prévention du risque, en termes de géohistoire et de culture,  sont réels et urgents à l’heure actuelle, notamment dans le cadre du développement des PAPI (Plan d’Action de Prévention des Inondations[3]) du Giessen, de la Liepvrette et de la Zorn, ou encore des PPRI (Plan de Prévention des Risques d’Inondation) de la Bruche, de la Moder et de Strasbourg. Le programme TRANSRISK² s’inscrit donc dans une vaste démarche de collaboration et de recherche appliquée avec plusieurs Comcom, le SAGE du Giessen, la DREAL Alsace, les DDT du Haut – Rhin et du Bas – Rhin.

Et ceci pour une raison simple à comprendre : au-delà de la culture du risque, les informations historiques sont importantes pour caler les modèles permettant la réalisation du zonage du risque en fonction des crues centennales (PPRI), mais aussi pour la mise en place de repères de crue, obligatoires tant pour les PPRI que les PAPI. Or, en raison des destructions dues aux guerres, il ne reste que très peu de témoins d’inondations sur les murs ou les piles de ponts en Alsace (photo 1), alors qu’ils sont innombrables en Allemagne comme en Suisse. On peut le voir sur la figure 2, avec l’exemple des inondations de 1896, destructrices des deux côtés du Rhin, mais dont on ne trouve des témoignages matériels que du côté allemand.

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Photo 1 : repères de crue du pont de chemin de fer au-dessus de la Lauch dans la forêt du Neuland au sud de Colmar. Un exemple remarquable et unique en Alsace, où figurent les inondations de mars 1876, janvier 1910, décembre 1919, janvier 1920 et, dans le bas de la photo à droite, une petite plaque rouillée indiquant la crue d’avril 1983, événement de référence, pourtant bien en dessous des crues précédentes.

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Fig. 2 : Inondation de type 5 dans l’espace du Rhin Supérieur. La carte représente les lieux touchés par des dégâts d’inondation (étoiles rouges) et les lieux où les repères de crue sont encore présents (points bleus).

Présentation de la démarche historico – progressive

Il faut donc recourir aux informations de la base de données TRANSRISK pour reconstituer ces repères de crue, notamment à partir des données images : cartes, photographies, cartes postales anciennes, archives audiovisuelles de l’INA, etc. Hormis le caractère informatif de ces repères, ils vont nous être nécessaires dans le cadre de la démarche historico – progressive pour permettre la modélisation des crues historiques qui sera réalisée courant 2016. Prenons l’exemple de la reconstitution du repère de crue du Pont du Corbeau à Strasbourg (Fig. 3). Le document de départ est une photographie parue dans un journal et relatif à l’inondation de janvier 1920. Rétablir la hauteur de l’Ill à cette date se heurte à une double difficulté : la présence de d’infrastructures flottantes et de bâtiments qui n’existent plus à l’heure actuelle. On s’appuie donc sur les cartes postales de l’époque, pour reconstituer la hauteur atteinte par la rivière en aval et en amont de la photo initiale. En amont, on retrouve en effet le pont du Corbeau qui va nous permettre de reporter la hauteur d’eau sur la rive opposée. Or c’est là que se situe un bâtiment qui présente les même caractéristiques en 1920 et à l’époque actuelle, à savoir le musée historique, qui va donc nous permettre de reporter cette hauteur d’eau dans le paysage d’aujourd’hui.

Détail intéressant ici, légèrement en aval se trouve un repère de crue de 1882, complètement masqué par la terrasse en bois du restaurant de l’Ancienne Douane (ce qui montre bien le peu d’intérêt qui est apporté à ces témoins de catastrophes passées et au risque d’inondation à Strasbourg). Or, le niveau atteint en 1920 est nettement inférieur à celui de 1882. Une situation qui semble en contradiction avec les descriptions de ces deux inondations particulièrement destructrices en Alsace, mais qui s’explique assez aisément : en 1891 a été réalisé un canal de décharge des eaux de l’Ill en amont de Strasbourg, et qui, à la hauteur d’Erstein, envoie plus de 80% d’une crue centennale directement vers le Rhin. Si la crue de 1920 parait donc moins importante que celle de1882, c’est tout simplement parce qu’elle n’a  bénéficié presque que des eaux de la Bruche.

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Fig.3 : détermination d’un repère crue à partir d’une photographie ancienne issue d’un article de presse, et cartes postales anciennes, au pont du Corbeau à Strasbourg

Conclusion

L’analyse et la comparaison des inondations sur une longue période exige beaucoup de prudence, la chronologie des inondations sur une période longue se caractérisant par des discontinuités multiples (aléas, enjeux, vulnérabilités, perceptions, sources), qui rendent les comparaisons spatiotemporelles aléatoires sans un minimum de précaution, car les sources sont dépendantes de l’endommagement, et l’on construit une chronologie des inondations destructrices et non pas des crues (Martin et al. 2015). D’où l’intérêt d’une approche géohistorique et interdisciplinaire, traitant de l’objet « inondations » dans sa dimension diachronique.

Bibliographie :

Martin B. et al, « Les événements extrêmes dans le Fossé Rhénan entre 1480 et 2012. Quels apports pour la prévention des inondations ? », La Houille Blanche, n°2, 2015.

Martin B. et al, « Géohistoire critique de la crue de janvier 1910 dans le Fossé Rhénan », La Houille Blanche, n°3, 2011.

[1] Contrairement, hélas, aux exemples de bases de données nationales telles que l’Observatoire National des Risques Naturel (www.onrn.fr), ou la Base de Données de l’Histoire des Inondations (www.bdhi.org).

[2] https://www.facebook.com/orrionalsace

[3] http://www.developpement-durable.gouv.fr/Les-programmes-d-actions-de,24021.html