Campagne 2015 incluant «Une cité ouvrière du XVIe siècle !»

Dixième campagne consécutive sur le territoire de l’archéologie, et en même temps la quatrième sous la forme d’un PCR régional étendu aux Vosges méridionales, cette opération se situe dans une position charnière à la veille d’un projet INTERREG (2016-2019) porté par le CRESAT. Celui-ci se propose d’embrasser l’extraction des ressources métalliques dans le Rhin supérieur depuis l’affirmation, aux XIIIe et XIVe siècles, de la logique industrielle, la caractérisation de son héritage, enfin la valorisation de la composante patrimoniale de cet héritage, à des fins de culture et d’éducation.

À l’Altenberg (Sainte-Marie-aux-Mines), la campagne 2015 s’est focalisée comme à l’accoutumée sur un panel de sites. Ainsi l’extraction est-elle éclairée d’abord par la fouille souterraine systématique et méticuleuse de la galerie dite «Patris», datée des temps qui ont suivi 1014, ensuite par la découverte – qui a fait suite à une prospection géophysique – d’un réseau minier du XVIe siècle totalement «vierge». La dernière découverte d’une telle ampleur remonte à 2003, aussi ce réseau est-il appelé à jouer le rôle d’une «mine-école» pour les investigations d’archéologie souterraine pour les années à venir.

Un second thème concerne la minéralurgie, c’est-à-dire les processus de pré-paration des minerais. Engagée depuis 2013, la fouille de la laverie Sainte-Barbe (XVe siècle), qui avait mis au jour le sol fossilisé d’un atelier de tri-concassage manuel, a procuré les restes de ce qui paraît être une cuve pour le lavage dit «au tamis» tel qu’il est illustré par exemple par le retable d’Annaberg (Saxe) [illustration 1]. À ces niveaux succèdent (fin XVe siècle) les résidus du tri par l’eau, qui s’organisent en vasques anastomosées. À l’arrière de cette laverie, le site pressenti d’une fonderie beaucoup plus ancienne (XIe et XIIe siècles) a fait l’objet d’une prospection magnétique et d’un profilage électrique par polarisation provoquée.

À un étage plus élevé dans l’Altenberg, une autre laverie, dite de «Berg Armo», a fait l’objet d’une petite fouille. Celle-ci a mis en évidence des résidus de lavage déposés par l’eau, couronnés par un plancher de travail, le tout encapuchonné (à l’époque de la Renaissance) par les matériaux de retraitement des stériles de la mine ; en effet, les minerais qui pouvaient encore en être extraits étaient exemptés de la redevance seigneuriale.

Deux grands sites se rapportent au thème de l’habitat de la société minière. Le premier, au lieu dit Fouchelle, a produit depuis 2014 un ensemble de cellules d’habitat d’abord considéré comme une colonie ouvrière. En effet, ces maisonnettes normalisées, de vingt mètres-carrés, dépourvues d’étage mais équipées d’un poêle et d’un foyer, ont fourni des morceaux de minerais et des résidus de fonderies – utilisés sans doute pour leurs propriétés en termes d’inertie thermique – qui nous révèlent l’identité des occupants : des mineurs et des fondeurs. Mieux, la présence récurrente d’artefacts domestiques (aiguilles en os, fusaïoles, billes en terre cuite…) est un indicateur d’habitats familiaux. Mais ces cellules s’organisent en bandes de plusieurs unités, disposées dans le versant montagneux selon un schéma urbanistique planifié. Voilà réunis tous les ingrédients nécessaires à la définition d’une cité ouvrière. Les lieux du travail se localisent à 350 à 400 mètres de distance (les mines Saint-Philippe et Saint-Barthélemy, la fonderie Saint-Barthélemy). Une cité ouvrière d’une grande ancienneté, à positionner en phase avec le boom économique des années 1520 [illustration 2]. Occupées durant un bon siècle, ces cellules d’habitat ont procuré un mobilier remarquable, notamment en matière de céramique de poêle, qui rend envisageable une étude quasi-exhaustive d’un corpus évolutif à l’échelle d’un village. L’illustration 3 montre une base de poêle qui a conservé en place sa première assise de carreaux, ce qui est à ce jour unique en Alsace. L’illustration 4 montre un des carreaux de très grande taille aux bas-reliefs à motifs allégoriques, ici «L’automne», sans doute début XVIIe siècle, une découverte tout aussi extraordinaire. 60 personnes ont visité le site à l’occasion d’une journée «portes ouvertes» le 28 juillet.

À l’opposé, le second site, un habitat d’altitude au voisinage de la mine Berg Armo, se concentre sur une plateforme artificiellement aménagée. La fouille a révélé deux grandes maisons qui font figure de résidences aristocratiques à côté des précédentes, peut-être des demeures de maîtres mineurs de cette exploitation qui défraya l’histoire. Plus loin sur la même terrasse sont apparus des accumulations de résidus d’une forge, contemporaine de ces maisons (XVIe siècle).

Ces résultats viennent consolider le corpus déjà considérable des connaissances acquises sur l’Altenberg, ce laboratoire d’étude de huit siècles consécutifs d’indus-trie des métaux (de l’aube des temps carolingiens à la Guerre de Trente ans), et en même temps l’un des trois sites majeurs pour l’archéologie minière en Europe.

Nous en arrivons au district métallogénique des Vosges méridionales. Cinq sites y ont fait l’objet d’investigations sous la direction de Bernard Bohly. On y relève deux fouilles souterraines partielles, la première sur une voie de roulage du XVIe siècle à Steinbach, la seconde, à Rimbach-près-Masevaux, dans un réseau de galeries qui s’inscrivent mal dans la typologie des mines de la Renaissance (et donc sans doute antérieure). Une troisième opération s’est imposée du fait d’un effondrement de terrain près de Wegscheid ; elle s’est traduite par la fouille, spectaculaire et dans des conditions difficiles, des deux puits au jour de la mine Notre-Dame (XVe siècle ?). L’un d’eux est incliné sur le pendage du filon, l’autre coiffé d’un bâti-ment en maçonnerie, vertical et habillé d’un cuvelage en bois très soigné, paraît avoir été le puits d’exhaure de cette mine positionnée sur le prolongement du filon Reichenberg, un toponyme évocateur [illustration 5].

Ces chantiers se complètent de deux prospections assorties de topographies sur des secteurs qui n’avaient jusqu’ici que peu fait l’objet d’investigations, l’une au sud-est de Sewen (où un sondage a mis au jour un petite structure d’habitat), l’autre à l’ouest au lieu dit Enzengesick. Ce dernier quartier minier offre au regard deux très vastes chantiers à ciel ouvert (ces «verhau» sont fréquemment la signature de temps très anciens). Sur la bordure de l’un d’eux s’ouvre un petit réseau souterrain polyphasé ; on y rencontre une galerie de très petite dimension au profil ovoïde et percée au feu, recoupée par des travaux plus récents qui ont fourni une datation 14C très resserrée (1411-1447).

Ces différentes opérations sont à percevoir comme les pièces d’un gigantesque puzzle. Car il importe de rappeler ici les objectifs de ce programme «régional» :

–     mettre en lumière, dans l’enceinte des Vosges d’Alsace, les exploitations minières qui s’inscrivent dans la longue période dite «médiévale»

–     les dater afin de procurer une cartographie de l’industrie extractive à travers le prisme de son évolution spatio-temporelle

s’appuyer sur ces datations aux fins d’afiner la chrono-typologie des travaux, et des techniques, à une échelle régionale

–     superposer les cartes obtenues à celles des territorialités seigneuriales.

À la clé pourra se positionner la problématique de l’émergence d’une logique industrielle dans l’extraction des métaux, qui viendrait succéder à des modes de production économique monastiques ou seigneuriaux, en parallèle avec l’afirmation de la bourgeoisie dans les villes. Cette problématique est centrale dans le projet INTERREG déposé en janvier 2016.

Les partenaires scientifiques : INRAP, PAIR, UMR 6249 «chrono-environne-ment» de l’université de Franche-Comté, UMR 5060 IRAMAT (Belfort.Saclay/ Bordeaux), laboratoire Archéolabs, entreprise « Colas Caméra ». Partenaires associatifs : Fédération Patrimoine Minier, ASEPAM (Ste-Marie-aux-Mines), Association archéologique «les Trolls» (Soultz), Association minéralogique «Potasse», maison de la Géologie et de l’Environnement de Haute-Alsace.

Les responsables d’opérations : Delphine BAUER (doctorante CRESAT), Bernard BOHLY (Vosges méridionales), Jean-François BOUVIER («inventeur» du village de la Fouchelle), Patrick CLERC (INRAP), Nicolas FLORSCH (Univ. Paris VI), Pierre FLUCK, Joseph GAUTHIER.

Participants : au chantier de l’Altenberg, juillet 2016, 36 participants (hors enca-drement), dont 80% d’étudiants de diverses universités de France et d’ailleurs ; pour les Vosges méridionales 13 participants de diverses associations partenaires.