Séminaire « Pour une histoire transnationale et comparée des installations et des essais nucléaires » – 2 février 2022

La décision du moratoire et son abrogation : Histoire d’une contestation politique au plus haut de l’État

Florian Galleri

Résumé

Dans son ouvrage « les leçons du pouvoir », François Hollande disait de l’arme nucléaire qu’elle « obéit à une procédure réglée entre le président et les responsables militaires ». Cette relation exclusive entre le Président et l’institution dans la conduite des affaires nucléaires semble normale et traditionnelle. La politique nucléaire entre le moratoire des essais nucléaires de 1992 et la reprise des essais de 1995 semble prouver que ce couple « Président – institution militaire » est bien une construction. Car pendant cet intervalle, de nombreux responsables vont tenter de s’opposer ou de pérenniser ce moratoire sur les essais nucléaires français. Cela va créer une crise discrète et relativement ignorée au plein cœur de l’État.


Au Parlement européen, des députés montrent leur désaccord avec la reprise des essais nucléaires français décidée par Jacques Chirac, en juillet 1995. (ERIC CABANIS / AFP)

En effet, la décision même du moratoire des essais nucléaires du 8 avril 1992 montre l’importance du Premier ministre dans le processus décisionnaire de l’arme nucléaire. L’influence de Pierre Bérégovoy sur François Mitterrand dans la prise de décision du moratoire est clairement établie. Si le Président semble à l’époque être le seul à décider, il n’est donc pas le seul acteur politique à exercer une influence sur le devenir de l’arme. L’opposition du ministre de la Défense Pierre Joxe, mais aussi des institutions travaillant pour la dissuasion nucléaire en France, renseigne de la complexité de la prise de décision dans une période de bouleversements stratégiques.

L’année suivante, l’arrivée du gouvernement de cohabitation Balladur renforce ceux qui s’opposent au moratoire. Si publiquement celui-ci n’est pas rompu, des consignes sont données au CEA pour préparer la possible reprise des essais après l’élection de 1995. Le ministère des Affaires étrangères discute aussi avec ses partenaires européens les plus importants pour une reprise des essais dans le Pacifique.

Il est clair que cette politique de préparation allait à l’encontre de la volonté présidentielle comme elle fut affichée en 1994 lors d’une intervention sur la dissuasion nucléaire. Le flou autour de l’identité du responsable politique de la préparation des essais accroit le sentiment d’une grande irrégularité. S’agit-il d’une volonté du Premier ministre Édouard Balladur, ou d’une partie des ministres « chiraquiens » soutenue par les institutions nucléaire ? La concurrence au sein du RPR pour la candidature à la Présidentielle s’invite donc dans cette lutte contre le moratoire. Enfin, l’étude de ce « moment moratoire » est particulièrement intéressante, car il sert de transition entre une dissuasion nucléaire française ancrée dans la Guerre froide et une dissuasion « post Guerre froide » où son rôle devient significativement plus modeste. Étudier la politique à l’origine du moratoire des essais nucléaires et la contestation de celui-ci permet donc d’analyser une crise feutrée qui conduisit à la grande réforme chiraquienne de la politique nucléaire française de 1995 à 1996.

Biographie de l’intervenant

Florian Galleri est doctorant en Histoire contemporaine à l’Université de Nantes sous la direction de Jenny Raflik. Son sujet de thèse porte sur la dimension européenne de la dissuasion nucléaire française post Guerre froide (1991-2017). Il a obtenu la bourse de l’Alliance Europa en 2021.

Date et lieu

2 février 2022
17:00 – 19:00 (heure de Paris)

Le séminaire aura lieu au Pôle des langues et civilisations de l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO) 
salle 3.15
65, rue des Grands Moulins
75013 Paris

Une retransmission en visioconférence est prévue (sous réserve de bon fonctionnement de la technique).
Pour y assister, il suffit de vous connecter sur la plate-forme de l’Université de Haute-Alsace en suivant ce lien.