Ecrire l’histoire du C.E.P.

Porteur du projet : Renaud Meltz

Durée : 2018-2021

Description

Le 17 mars 2017, l’Accord de l’Élysée signé par le Président de la République et le Président de la Polynésie française a prévu la création d’un « Institut d’archives, d’information et de documentation sur les essais nucléaires ». Il s’agit d’instaurer un climat d’apaisement entre l’État et la Polynésie française pour une gestion sereine de l’après-nucléaire. La décision, en 1996, de mettre un terme à trois décennies d’essais nucléaires français s’est concrétisée par le démantèlement du Centre d’Expérimentation du Pacifique (CEP) à compter de juillet 1998, sans régler la question des héritages matériels et symboliques de la nucléarisation de la Polynésie.

Le Centre de mémoire en cours de réalisation doit permettre aux Polynésiens de connaître ce passé : le choix, en 1962, des atolls des Tuamotu pour prendre le relais du site saharien où la France a tiré sa première bombe A ; les 193 essais atmosphériques et souterrains qui se sont déroulés à Moruroa et Fangataufa entre 1966 et 1996, décisifs pour la mise au point de la bombe H ; les conditions du démantèlement et les héritages du CEP.

De son côté, le gouvernement de la Polynésie française a sollicité la Maison des Sciences de l’Homme du Pacifique (MSHP) pour contribuer à la conservation de la mémoire du CEP et à la mise en lumière de ses enjeux historiques. La MSHP a retenu la double proposition formulée par le CRÉSAT (Université de Haute-Alsace) : écrire l’histoire des essais nucléaires en Polynésie française et mener des enquêtes de terrain pour enregistrer la mémoire orale des acteurs du CEP, qu’il s’agisse des vétérans polynésiens et métropolitains, ou des populations civiles concernées par leurs lieux de résidence. Le CEP était en effet constitué de sites de tirs (Moruroa, Fangataufa), mais aussi d’une base avancée (Hao), d’une base arrière à Tahiti, et d’une vingtaine de postes périphériques abritant des missions permanentes ou temporaires de prévisions météorologiques et de mesure des retombées radioactives, mobilisant au total, sur l’ensemble de la période, des dizaines de milliers de personnes militaires et civils.

Le volet « Écrire l’histoire du CEP » du programme de recherche regroupe une quinzaine de chercheurs de plusieurs disciplines et spécialités : histoire de la Polynésie, des sciences et techniques nucléaires, de l’écologie, de l’Outre-mer et du militaire ; anthropologie de la Polynésie ; géohistoire des risques, géographie du Pacifique ; sociologie des processus de victimisation; représentations littéraires du nucléaire. L’ambition est globale : par-delà la focalisation sur les enjeux sanitaires, il s’agit de prendre la mesure de l’ensemble des conséquences du CEP, dans tous les domaines. Mais aussi, de déterminer ce qui dans la transformation rapide de la Polynésie française ne lui est pas directement imputable. Autrement dit, discriminer l’emprise des représentations qui font du CEP un agent historique déterministe. Dans une logique qui dépasse les oppositions binaires, centre/périphérie, émission/réception, dominant/dominé, il s’agit de documenter l’insertion accélérée de la Polynésie française dans la mondialisation à l’occasion du CEP. Sans faire de l’arrivée du CEP un point de bascule ouvrant brutalement les vannes de l’histoire, dont le Polynésien n’aurait pas été un acteur auparavant. Multiplier les échelles et les points de vue, dans l’esprit d’une micro-histoire globale, permet de restituer l’action des populations polynésiennes, plus connectées au reste du monde que ne le laissent penser les rapports du bureau d’étude du gouverneur, non moins diverses que les acteurs européens, qu’il s’agisse des politiques inégalement pressés de doter la France d’une force de frappe, des ingénieurs du CEA qui conçoivent la bombe et mesurent ses effets, ou de ceux qui construisent le CEP puis opèrent l’expérimentation des engins, militaires de carrière, appelés du contingent, salariés du privé, maçons Portugais convoyés par contingents de plusieurs centaines. Cette démarche déconstruit le préjugé d’une calcification des mémoires en deux blocs homogènes et antagonistes : d’un côté des victimes passives, en Polynésie, qui souhaiteraient revenir sur un passé occulté, marqué par le sceau du mensonge d’État ; de l’autre, la mémoire des acteurs d’une épopée scientifique et technique contrôlée, close par l’obtention de la force de frappe en pleine guerre froide.

L’histoire du CEP n’est ni polynésienne, ni française. En dépit des asymétries, il s’agit d’écrire l’histoire d’une rencontre qui rejoue à sa façon les premiers contacts

Dans cet esprit, et parallèlement au programme de recherche « Écrire l’histoire du CEP », le CRÉSAT, la MSHP et l’INALCO organisent un séminaire ouvert au public à l’INALCO : « Pour une histoire transnationale des installations et des essais nucléaires ». Ce séminaire ambitionne d’élargir l’étude du CEP grâce à une approche comparée (essais américains, britanniques, soviétiques) et transnationale (réception des essais français par ses partenaires européens, réseaux d’opposants régionaux, etc). Les trois structures coorganisent également un colloque à Paris du 19 au 21 janvier 2022, intitulé « Des essais au désert ? Pour une histoire comparée et transnationale des sites des essais nucléaires ».

Membres de l’équipe

  • Yannick Barthe, directeur de recherche en sociologie (EHESS, LIER), sociologie des victimes.
  • Benjamin Furst, ingénieur de recherche, docteur en histoire de l’environnement (CRÉSAT)
  • Stéphane Launey, docteur en histoire de l’art, chercheur associé au CRÉSAT.
  • Jérôme de Lespinois, (CERPA), histoire militaire.
  • Brice Martin, MCF (UHA, CRÉSAT), géographie des risques.
  • Sylvain Mary, PRAG (Université de Cergy-Pontoise, SIRICE), histoire de l’Outre-mer.
  • Anaïs Maurer, (State University of New Jersey), littérature post-coloniale.
  • Sarah Mohamed-Gaillard, MCF en histoire contemporaine (INALCO, CESSMA), histoire de l’Océanie.
  • Renaud Meltz, professeur d’histoire contemporaine (UHA, CRÉSAT), histoire politique.
  • Teva Meyer, MCF en géopolitique (UHA, CRÉSAT), géographie/géopolitique du nucléaire.
  • Dominique Mongin, docteur en histoire, enseignant à l’ENS et l’INALCO, histoire de la dissuasion.
  • Émilie Nolet, MCF en archéologie de l’Océanie (Paris 1, ARSCAN), anthropologie.
  • Andréas Pfersmann, professeur de littérature comparée (UPF, EASTCO), littérature comparée.
  • Alexis Vrignon, post-doctorant (MSHP-CRÉSAT), histoire de l’environnement.

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