Pasifika : des îles dans la mondialisation

Séminaire bimensuel MSH-P (CNRS/UPF/Credo)

Renaud Meltz & Serge Tcherkézoff

Présentation

Le projet de ce séminaire est de penser la mondialisation et la modernisation, sur tout l’empan de la période contemporaine, depuis les îles d’Océanie. À l’articulation de l’histoire et de l’anthropologie, nous proposons de regarder le monde depuis le Pacifique, plutôt que de regarder le Pacifique de l’extérieur.

Dans le champ historique, les efforts pour recentrer la discipline sur le « terrain » des sociétés insulaires (island-oriented) au lieu de partir des archives des chancelleries européennes sont en cours depuis longtemps.  Il reste à opérer ce tournant pour l’ensemble des analyses socio-culturelles, économiques et politiques concernant les transformations récentes et contemporaines.

Ce séminaire entend étudier les effets de la modernisation et de la mondialisation dans le Pacifique à partir d’enquêtes sur place, en observant les situations contemporaines et en écoutant la mémoire des habitants concernés.

Les responsables du séminaire et leurs invités considèrent l’ensemble des processus impériaux qui renouvellent les pratiques des empires de l’époque moderne et conduisent à différentes formes de colonisation ou de domination impériale, qui modulent le rapport à la modernisation et l’insertion dans la mondialisation. Nous refusons de découper l’histoire de l’Océanie en tranches, selon les catégories ou les conceptions des métropoles européennes, et nous souhaitons d’une part considérer chaque société dans le temps long, en prêtant attention aux circulations des Océaniens, (Nicholas Thomas, Islanders: The Pacific in the Age of Empire) et d’autre part les comparer entre elles, pour ne pas céder à la tentation téléologique d’une fatale convergence des processus de modernisation et de mondialisation qu’il s’agit précisément de penser à nouveaux frais.

Presentation

The aim of this seminar is to consider globalisation and modernisation from the perspective of the islands of Oceania over the entire contemporary period. At the interface of history and anthropology, we propose to look at the outside world from the Pacific, rather than looking at the Pacific from the outside.

In the field of history, efforts to refocus the discipline on the ‘field’ of island societies (island-oriented) rather than starting from the archives of European chancelleries have been underway for a long time.  This shift still needs to be made for all socio-cultural, economic and political analyses of recent and contemporary transformations.

The aim of this seminar is to study the effects of modernisation and globalisation in the Pacific on the basis of on-site surveys, by observing contemporary situations and listening to the memories of the inhabitants concerned.

The seminar convenors and their guests are looking at all the imperial processes that renewed the practices of empires in the modern era and led to different forms of colonisation or imperial domination, which modulated the relationship with modernisation and integration into globalisation. We refuse to divide the history of Oceania into slices, according to the categories or conceptions of the European metropolises, and we wish to consider each society over time, paying attention to the movements of Oceanians, (Nicholas Thomas, Islanders: The Pacific in the Age of Empire) and to compare them with each other, so as not to give into the teleological temptation of a fatal convergence of the processes of modernisation and globalisation, while the latter precisely need to be analysed in a new way.

Programme : 12 séances chaque 2e et 4e vendredi de chaque mois (janvier-juin 2024)

Sauf avis contraire, le séminaire se tient à la MSH-P (2e niveau, entre la MSH-P principale et la présidence) à 7h00 à Tahiti (18h00 à Paris en visio)

Plus d’informations ici :

https://pasifika.hypotheses.org/

Détail des séances

  • Séance 1 (12 janvier)

Serge Tchekézoff (EHESS) & Renaud Meltz (MSH-P), Présentation du séminaire

Serge Tchekézoff, « Pasifika : appellations, représentation et personnification morale de l’Océanie »

Renaud Meltz, « Océanie, modernité et mondialisation »

https://uha.webex.com/uha/j.php?MTID=md62d68ca6bd61031cc841e40b715447c

 

  • Séance 2 (26 janvier)

Renaud Meltz, « Les refus du 2e contact : le CEP et le rejet de la “modernisation” »

 

  • Séance 3 (9 février)

Clément Thibaud (EHESS, CERMA), « Qu’est-ce que le “méridien impérial” atlantique peut nous dire de la question coloniale en Océanie ? »

 

  • Séance 4 (23 février)

Manatea Taiarui (MSH-P), « La circulation d’une controverse scientifique internationale en Polynésie française : l’appropriation par les Polynésiens des effets de la radioactivité pour penser la “modernité” »

 

  • Séance 5 (8 mars)

Pascal Marichalar (CNRS, IRIS), « Mauna Kea, la montagne aux étoiles. Enquête sur les terres contestées de l’astronomie à Hawai’i »

 

  • Séance 6 (22 mars)

Florence Mury (MSH-P), « Océanie ou “triangle polynésien” : quelle échelle légitime pour le régionalisme culturel en Polynésie française ? »

 

  • Séance 7 (12 avril)

Régis Boulat (UHA), « Comment les responsables polynésiens pensent-ils la notion de modernisation à l’heure des 30 glorieuses et du CEP ? »

 

  • Séance 8 (26 avril)

Louis Lagarde (UNC) & Guillaume Molle (ANU), « Vestiges du quotidien : les îles océaniennes et la mondialisation au prisme de l’archéologie »

 

  • Séance 9 (10 mai)

Frances Steel (Otago), “TransPacific transport networks as seen from the Pacific Islanders”

 

  • Séance 10 (24 mai)

Antoine Lilti (Collège de France), « Les Lumières à l’épreuve de Tahiti »

 

  • Séance 11 (14 juin)

Benjamin Furst (UHA), « L’environnement polynésien à l’épreuve de la modernisation. Jeux d’échelles et circulations après 1945 »

 

  • Séance 12 (28 juin)

Alexis Vrignon (Orléans), « Modernisation et écologisation en Polynésie française (1960-2000) »

Renaud Meltz & Serge Tcherkézoff, « Conclusions provisoires ».

Séance 1 (12 janvier)

Serge Tchekézoff (EHESS) & Renaud Meltz (MSH-P), Présentation du séminaire

Serge Tchekézoff, « Pasifika : appellations, représentation et personnification morale de l’Océanie »

Renaud Meltz, « Océanie, modernité et mondialisation »

https://uha.webex.com/uha/j.php?MTID=md62d68ca6bd61031cc841e40b715447c

Présentation

Afin de cadrer les notions qui seront mobilisées tout au long de cette saison du séminaire Pasifika, Renaud Meltz s’emploie d’abord à définir la modernité comme une notion située dans l’espace et le temps : si l’on peut discuter de sa généalogie, le mot apparait dans l’Europe du XIXe siècle. La modernité relève d’une catégorie politique, mobilisant des valeurs liées à l’héritage des Lumières, et se situe dans un processus historique. Cette réflexivité la caractérise encore de nos jours et se manifeste dans les tâtonnements lexicaux et taxinomiques pour qualifier ses devenirs : post-modernité, modernité tardive, transmodérnité etc. La notion de modernité, depuis le siècle de sa naissance lexicale mais aussi avant, puisque la notion peut s’appliquer rétroactivement, repose également sur celle de progrès technique et scientifique, ce qui rapporte la modernité, via l’innovation et l’industrialisation, à la notion de mondialisation. Enfin, comme la modernité n’est pas seulement une situation historique mais une perception de cette situation et la croyance en la rationalité du sujet occidental moderne, on peut l’envisager comme un nouveau rapport au temps – mais s’agit-il d’un nouveau régime d’historicité ou d’un mythe (le progrès) comme un autre ?

Le mariage de la modernité et de la mondialisation pose la question de l’uniformisation du monde. La validité de la notion de modernité, dans ses avatars mondialisés, a suscité depuis une vingtaine d’années des propositions pour penser la « société mondiale » en tenant compte aussi bien de son caractère unificateur que de sa diversité : on parle notamment de « modernités multiples ». Le séminaire Pasifika, en posant la question de la modernité depuis le point de vue des îles du Pacifique, se confrontera à son envers, les refus de la modernité, tels qu’ils se manifestent chez les Occidentaux qu’ils y trouvent un refuge contre les crises de la modernité européenne, ou qu’ils y reconnaissent un modèle alternatif de modernité heureuse – mais c’est encore parler de la modernité depuis le point de vue occidental, alors que nous souhaitons opérer un décentrement géographique et temporel pour considérer la modernité vue des îles.

Tel est le cœur du projet de ce séminaire, qui n’est pas neuf : interroger non pas les effets de la modernité sur les périphéries, l’éventuelle résistance des marges à l’hégémonie matérielle et culturelle, mais la façon dont lesdites « périphéries » pensent et vivent la modernité sous l’effet de la mondialisation. Ce projet était déjà formulé par Sahlins dans un article programmatique de 1989, « Les cosmologies du capitalisme » : « Il va donc falloir examiner comment les peuples indigènes luttent pour intégrer leur expérience du système mondial dans un ensemble logiquement et ontologiquement plus englobant : leur propre système monde ».

Cette séance préliminaire, et les suivantes, seront l’occasion de reprendre les trois visages de la modernité, politique, technique, culturel, depuis le point de vue du Pacifique, qu’il s’agisse de revenir sur les contestations de la modernité politique ou ses reformulations, alors qu’elle a pris le visage de la colonisation, contradictoire avec le projet d’émancipation porté par la modernité occidentale ; de reconsidérer le rapport à la technique ; de penser la modernité comme une notion culturelle en tenant compte du « souci du passé » qui peut l’accompagner sans la nier.