Ci-dessous, la présentation de la première campagne de fouilles, menée en 2007. 10 campagnes ont été menées depuis. Vous pouvez trouver une présentation de la campagne 2015 à cette adresse.

Pierre Fluck, responsable des opérations, est assisté de Jean-François Bouvier, Patrick Clerc, Isabelle Dechannez-Clerc, Alexandre Dissert, Joseph Gauthier, Camille Glardon, Jean-François Ott et Myriam Schmutz.

 

L’opération 2007 à l’Altenberg est la deuxième d’un programme sur cinq ans (2006-2010). En même temps, elle se voulait achever la phase de préparation d’un projet collectif de recherche (PCR) qui doit occuper les trois années à venir. L’enveloppe thématique, définie au départ du projet (mines et fonderies médiévales), s’est étoffée au courant 2007 en s’agrégeant des dimensions nouvelles que l’avancement de la recherche a révélées pertinentes : d’une part intégrer l’époque Renaissance dans la problématique de la métallurgie, car elle marque l’aboutissement d’une longue évolution technico-sociale, de l’autre investir le thème des ateliers d’essayeurs qui fait dès à présent l’objet d’un travail de thèse (J. Gauthier). La campagne 2007 a consisté en la mise en œuvre de six sondages (S1 Pfaffenloch, S2 dit « carreau Patris », S3 Saint-Philippe cote 500, S4 Echery, S5 Haut-Altenberg, dit « laverie », S7 Fertrupt, dit « site Fassler »), d’investigations souterraines, d’une mission géophysique et d’une couverture aérienne par la technique du « laser scanning ».

 

Le handicap de l’investigation souterraine

L’analyse des sites souterrains d’extraction – dont quatre ont à ce jour fait l’objet d’investigations – se révèle grevée d’un lourd handicap : d’une part leur sol n’a livré aucun outil, à l’opposé des galeries Renaissance dont les soles regorgent de mobilier, d’autre part les éléments datants potentiels s’avèrent extrêmement sporadiques : jusqu’ici, uniquement deux pièces de bois dans la mine Patris, dont l’une malgré le nombre important de cernes n’a pu procurer de résultat probant par la méthode de la dendrochronologie (un C14 sur les cernes externes est programmé au laboratoire de Zürich). Au plan de la typologie, les relevés pariétaux effectués à l’échelle 1 dans la mine Patris montrent bien l’utilisation d’outils qui n’ont rien à voir avec la classique pointerolle des travaux du XVIe siècle. En attendant sa datation, ce réseau reste d’autant plus prometteur que le porche d’entrée pourra être dégagé, ce qui permettra l’étude du couloir et des travaux de décombrement de plus d’ampleur dans la mine.

 

L’énigme de la laverie (sondage S5)

Dans la partie la plus élevée de l’Altenberg, les sondages ont permis de préciser le contexte environnemental de la vasque de résidus de lavage reconnue en 1985 et à nouveau fouillée en 2006. Si les limites de cette structure spectaculaire ont pu être précisées, son chenal d’alimentation parait fugace dans le terrain. Une batterie stratégique de tranchées a été le tribut à payer pour n’en comprendre l’organisation locale que partiellement : une seconde aire de dépôts à une dizaine de mètres de distance, néanmoins franchement décalée par rapport à l’axe du chapelet des vieux entonnoirs de puits. Le dispositif d’une esthétique simplicité d’un canal – ou aqueduc – dans la droite ligne de l’axe de l’alignement des puits est ainsi battu en brèche. Jusqu’ici, aucun indice probant d’une installation de lavage n’a pu être mis en évidence. Celle-ci a-t-elle réellement existé ? La pratique de verser dans les fours conjointement la galène et sa gangue de fer carbonaté, si elle se vérifie, ne se satisfait-elle pas d’un simple banc de triage, faisant ainsi l’économie de l’action de l’eau ? Et dans une telle alternative, comment alors expliquer l’incroyable pile de 145 tonnes de schlamms et de sables dans l’entonnoir principal de ce site ? Un canal dans sa simple traversée des haldes est-il capable de lessiver, et de véhiculer, une telle quantité de « fines » ? Et alors pourquoi avoir aménagé si soigneusement ce cône de décantation, puisqu’il ne paraît pas s’agir d’un entonnoir de puits ? Quels que soient les résultats d’une prospection mécanique à la recherche de l’axe hydraulique, les investigations sur le haut-Altenberg sont promises à un bel avenir. Nous rappellerons simplement l’existence, à 60 m seulement de distance en amont de la vasque précitée, de scories de réduction associées à ce qui paraît être des fragments de parois, enrobées de charbon daté de la première moitié du Xe siècle, c’est-à-dire de la mise en exploitation du champ filonien par le moine Blidulphe !

 

L’affirmation des contextes locaux (sondage S3 « Saint-Philippe, cote 500 »)

L’industrie métallurgique a laissé des traces dans la nature des déchets qu’elle a produits. Ceux-ci représentent pour le prospecteur un véritable « fossile stratigraphique ». La première problématique est d’ancrer des fonderies dans la géographie territoriale. La prospection stratégique des cours d’eau, rôdée pour les sites Renaissance, est inopérante pour les installations médiévales non inféodées au réseau hydrographique. Force est, pour celles-ci, de s’accommoder de la méthode la plus traditionnelle de prospection : la recherche à vue de scories dans les sols. Une telle méthode dévoreuse de temps exige que soit ratissé le terrain à la recherche d’indices parfois ténus. Les premiers sondages de notre programme (S1, S2, S4) se sont fixés sur des sites repérées et reconnus de longue date. Il reste cependant la cohorte des diverses fonderies dont certaines ne se montrent que par des concentrations fugaces de scories fayalitiques dans les sols. Les conditions d’ «affleurements» parfois minimalistes affirment la difficulté de l’entreprise et la forte propension de certains sites à rester cachés. L’enjeu est pourtant de taille : réaliser une carte aussi juste que possible de la distribution des fonderies médiévales et confronter leur localisation aux sites d’extraction qui les approvisionnent en matière première.

Plusieurs petites concentrations, repérées dans la partie moyenne du vallon de Saint-Philippe, évoqueraient plutôt une sorte de « chaîne » de petites fonderies d’échelle artisanale (bien que procédant d’une logique d’organisation industrielle) qu’un éparpillement volontaire ou naturel des résidus en des lieux plus ou moins écartés. Ce modèle tout à fait intéressant a été soumis en 2007 à l’épreuve des premiers sondages (site S3). Ceux-ci ont confirmé la matérialité réelle de telles concentrations, mais aussi la difficulté dans la quête de localiser les fours. Inféodée aux évolutions climatiques et aux réaménagements des installations minières à la Renaissance et au Siècle des lumières, l’évolution des formes du territoire a pu effacer les traces morphologiques des petites terrasses qui auraient pu servir d’ancrages à des petites fonderies : la microtopographie actuelle – bien que d’une importance réelle pour l’enquête – n’apporte pas tous les éléments pour documenter le savoir. C’est réaffirmer la nécessité de ne pas vouloir faire l’économie de petits sondages multiples.

 

La faillite d’un paradigme (sondages S1, S2, S4)

Mais les principaux résultats 2007 ont surgi des trois sites phares de l’archéologie de la métallurgie, le Pfaffenloch, le carreau Patris et Echery. Les sondages 2006 y ont été fortement agrandis, accroissant d’autant notre connaissance de ces sites. Les limites de l’investigation par sondage apparaissent ici néanmoins crûment, car nous avons affaire à trois structures dont l’intelligence apparaît embrouillée, pour plusieurs raisons : d’une part chacune a vécu une histoire polyphasée, d’autre part le « fossile directeur » que constituent les scories fayalitiques ne se satisfait plus de l’ancien paradigme, enfin il se confirme que la probabilité pour un sondage de percuter les structures recherchées reste faible, appelant à la rescousse la fouille extensive.

A la place des fours attendus – et hors une aire de grillage attestée par la teneur en plomb exagérément élevée du sol rubéfié –, le Pfaffenloch (« le site de l’an mil ») a dévoilé une stratigraphie tumultueuse révélant au moins trois épisodes de haldes coiffés par des sols d’occupation ou des aires d’accumulations de combustible. Les rares céramiques égarées dans les épisodes superficiels offrent de fortes affinités XVe siècle. Le contenu même des différentes couches mises au jour livre à l’étude à venir des matériaux archéométallurgiques de choix (scories, scories de fond de fours, parois, métaux) calés stratigraphiquement. Mais surtout, ce contenu nous interpelle sur la permanence – à travers les trois époques – de la dualité scories / matériaux de haldes, qui nous a conduit à formuler l’hypothèse d’un tri manuel associé à un concassage léger, la galène étant versée dans les fours en même temps que le carbonate de fer. Ce constat primordial expliquerait pourquoi les scories obtenues sont si riches en fer (logé dans la fayalite). Ainsi, ces scories fayalitiques n’auraient pas valeur de marqueurs chronologiques dans la métallurgie du plomb, elles porteraient bien plutôt la signature d’un process volontaire, et pas forcément significatif d’une époque dans le Moyen Âge. Admis jusqu’ici, le premier modèle vacille sur ses bases.

Il est intéressant d’observer les décalages contrastés des informations livrées par les différents sondages. Délocalisé par rapport aux sites d’extraction, le site de la fonderie d’Echery s’est lui aussi révélé polyphasé, mais cette propriété apparaît pour l’instant davantage attestée par le mobilier céramique que par la stratigraphie : l’ensemble des unités mises au jour paraissent témoigner d’une histoire métallurgique plutôt XVe siècle, elle-même cachetée par une construction du XVIe siècle, alors que des tessons du XIIIe siècle documentent une histoire antérieure. Et si les fours restent introuvables, une fenêtre réalisée en novembre 2007 en K1-2 vient tout juste de percuter une masse énorme de restes liés à l’existence d’un (ou de plusieurs) four(s).

Quant au site du carreau Patris, son originalité est dans la qualité des structures construites : sur le carreau d’une mine indéniablement antérieure à la Renaissance, une authentique maison du poêle à céramique Renaissance contre laquelle vient s’appuyer à l’extérieur une structure dont les pierres ont subi l’épreuve du feu. On ne peut s’empêcher d’établir le parallèle avec la quantité importante de résidus déposés à quelques mètres de cet endroit, qui sont pour beaucoup des scories fayalitiques avec leurs speis déposés là par déplacement de coulées entières. La stratigraphie n’a pas encore livré de discordance entre l’activité métallurgique et la fonction d’habitat. Et si l’on devait admettre – ce que pourra confirmer la fouille – une métallurgie Renaissance (XVe ou XVIe siècle), à nouveau se posera la question évoquée plus haut de la signification des scories fayalitiques. Serions-nous projetés dans une période de transition, qui juxtapose l’ancien système (galène et sidérite en vrac dans les fours) sur les lieux de montagne et le nouveau système (purification du minerai en laverie) au bord des axes hydrauliques de vallées ? Par ailleurs la quantité de scories au carreau Patris parait faible pour une installation industrielle, en revanche importante pour un simple atelier d’essayeur, mais que savons-nous des quantités réelles de minerai testées par cet homme de l’art ?

 

Les ateliers d’essayeurs, le thème nouveau offert à l’archéologie

Si les ateliers d’essayeurs n’ont guère bousculé la torpeur des archéologues jusqu’ici, on le doit à l’extrême fugacité des vestiges qu’ils ont pu générer, dissuadant de l’entreprise les praticiens de la recherche. La prise de conscience du rôle primordial qu’ils jouèrent dans l’économie – que ce soit au niveau de l’évaluation d’une concession ou pour le choix des procédés métallurgiques les plus adaptés, a déterminé les concepteurs de ce programme à y intégrer cette nouvelle dimension[1]. Se positionnant en effet avant la mise en exploitation du filon et aussi avant la vente des minerais aux concessionnaires des fonderies, l’action de l’essayeur s’inscrit totalement dans notre démarche qui se veut embrasser tous les maillons de la chaîne socio-économique.

En attendant d’accéder à une connaissance plus précise de la nature des déchets produits par l’éprouveur, l’unique fossile directeur reste les éléments de son mobilier (creusets, scorificatoires…). De telles découvertes tenant pour une bonne part à la chance, tel insigne objet peut signifier l’élément déclenchant d’une fouille. Celle du site de Fertrupt, si elle n’a pas encore produit le résultat qu’on attendait, n’en reste pas moins inachevée et l’on se gardera de conclusions hâtives. Un autre site pourrait se situer à l’arrière de la laverie de Fertrupt sondée en 1989 et 1994. Un troisième scorificatoire a été livré par… le sondage d’Echery. Des questionnements se précisent quant à certains lieux, dans l’Altenberg, qui distillent à l’adresse du prospecteur des scories de réduction en quantité infime. Un avenir pour la recherche.

 

Les prospections géophysiques

Dans le cadre de l’évaluation de l’apport des méthodes géophysiques, des études sont menées depuis plusieurs années par N. Florsch (Université de Paris VI), aux fins de repérer les concentrations de scories et plus généralement les ateliers métallurgiques et minéralurgiques. Pour 2007, la prospection s’est focalisée sur un site situé en rive gauche du ruisseau de Saint-Philippe, à l’aval du site « cote 500 », où ont été observées des scories fayalitiques. Parmi les méthodes ayant montré leur efficacité pour la détection de tels composés figure la polarisation provoquée. Ainsi ont été réalisés (par M. Schmutz, Université de Bordeaux) trois profils complets de résistivité et de chargeabilité (paramètre indiquant la polarisabilité du milieu). Les scories offrant une extension latérale limitée, il convenait de réaliser des mesures à haute résolution spatiale.

La caractéristique de ce site est une très grande hétérogénéité. Des zones à forte chargeabilité,  ont été ainsi révélées, en particulier à proximité du torrent, largement pollué au fer et à l’arsenic. Par ailleurs, les fortes anomalies de polarisation correspondent effectivement à une teneur élevée en métaux, tels que nous l’ont indiqué les géochimistes venus effectuer diverses mesures.

 

Vers un projet collectif de recherches

L’équipe « Altenberg 2007 » est l’artisan d’une fouille difficile, par le haut degré de technicité des objets concernés, par le choix – imposé par la méthode – de la pratique du sondage, qui n’ouvre sur le réel que des fenêtres livrant une information extrêmement fragmentaire, ne distillant que de rares pièces d’un gigantesque puzzle, par la très grande rareté des éléments datants fiables, par l’importance prépondérante que revêtent dans ce type d’archéologie les résultats d’analyses dont les résultats ne sont évidemment pas disponibles dans l’année, enfin parce qu’un fondement essentiel de la théorie qui sous-tend une typologie des déchets industriels paraît devoir être totalement remis en question.

Les opérations ont révélé et précisé le potentiel énorme de l’Altenberg. Nous demanderons pour 2008-10 un PCR afin de tendre vers une organisation optimale de la recherche, qui sera couplée avec la mise en route possible de deux nouveaux projets de thèses. Certains sondages évolueront tout naturellement en petites fouilles. La prospection à vue s’impose à se doter d’une méthode rigoureuse, faisant appel en particulier à la pratique de microsondages. L’investigation des lieux souterrains, si elle constitue en soi une spécialisation à part entière, pourra se compléter d’une étude très affinée d’un quartier-clé. Elle s’agrègera les enseignements d’une nouvelle approche topographique, par l’analyse des résultats de l’opération « laser scanning » aéropotée qui livre les informations sur la surface à travers la couverture végétale. L’archéométrie revêt une part énorme et se doit d’être préparée par le montage d’un petit laboratoire sur place. A l’affût de méthodes nouvelles, nous avons également entrepris de nous rapprocher du laboratoire de thermoluminescence de Bordeaux (UMR 5060) aux fins d’étudier la faisabilité de datations sur scories, ou sur minéraux inclus dans les scories. Enfin, comment ne pas reconsidérer l’éventail chronologique de cette recherche à la lumière de ses derniers développements, en y intégrant pour la métallurgie l’époque Renaissance : la très belle problématique de la typologie des scories nous incline en effet à pressentir une découverte importante : l’abandon des mélanges minerai / carbonate de fer au profit du lavage hydraulique du minerai, peut-être consécutif à l’avènement du bocard ?

 

Les partenaires du CRESAT : UMR 4060 IRAMAT-LMC, Commissariat à l’énergie atomique (UMR 9956 Laboratoire Pierre Süe), Université Paris-Sorbonne (Paris VI), Université de Bordeaux, Institut national de recherches en archéologie préventive, Pôle archéologique interdépartemental rhénan, Association spéléologique pour l’étude et la protection des anciennes mines, Fédération Patrimoine minier.

Partenaires financiers : DRAC Alsace, Jeunesse et Sports, Département du Haut-Rhin, Communauté de communes du Val d’Argent

 


[1]              Thèse en cours de Joseph Gauthier, doctorant au CRESAT, sous la direction de Pierre Fluck et de Florian Tereygeol.