Appel à communications
Techniques et alimentation en temps de guerre
Journée d’études – Jeudi 30 novembre 2017 à Mulhouse
Centre de recherche sur les économies, les sociétés, les arts et les techniques (CRESAT, EA 3436), UHA
À l’issue de la bataille de Marengo (1800), Dunand, cuisinier de Napoléon Bonaparte, sert à ce dernier une sauce inédite, fruit des circonstances de l’heure, qui rehausse un plat de poulet et d’écrevisses. Par delà l’anecdote qui témoigne d’une recette aux aspects techniques qui relèvent plutôt de l’utilisation de ressources disponibles sous la main, l’alimentation en période de guerre s’avère souvent difficile, à la fois pour les populations civiles et les combattants, aussi bien sur le plan nutritionnel qu’en raison des restrictions du volume de denrées disponibles. Sur le plan technique, comment est-il possible d’apporter des améliorations pour donner à manger correctement au plus grand nombre de personnes alors que les conditions du moment constituent autant d’entraves ? Lors des conflits contemporains, voient le jour des initiatives techniques novatrices ou de nature à s’inspirer de pratiques anciennes afin d’augmenter les volumes de productions agricoles ou d’adapter des recettes face à la pénurie et aux restrictions, de veiller à un conditionnement plus particulièrement adapté à la conservation des produits et des mets ainsi que, enfin, de mettre en place les transports les plus adéquats afin de permettre de nourrir au mieux le plus grand nombre de personnes tout en cherchant à garantir la sécurité de la chaîne alimentaire.
Productions alimentaires, recettes et cuisine
Des techniques de forçage dans les potagers, en passant par une translation de cultures comme la betterave à sucre lors de la Grande Guerre en dehors des zones de combats avec les transformations de l’outillage inhérentes à un tel changement jusqu’aux modifications de machines qui en découlent pour l’industrie agroalimentaire, le secteur de la production connaît des bouleversements techniques dans la vie quotidienne agricole. Le fait de chercher à produire davantage avec moins de bras en raison des réquisitions de main d’œuvre pour la conscription ou pour être au service de l’occupant entraîne des répercussions dans l’agriculture. Des cultures, comme celles du rutabaga et du topinambour, connaissent un regain d’intérêt au cours de la Deuxième Guerre mondiale.
Ces différents changements affectent la vie quotidienne des civils, au point que des livres de cuisine (Hélène DELAGE, Ginette MATHIOT, Je sais cuisiner) offrent des recettes de temps de guerre ou de pénurie pour pallier aux difficultés de préparer des repas. De leur côté, les militaires connaissent la cantine mais aussi la roulante ou popote, ainsi que le ragoût, le singe, la musette, la gnôle, le jus et bien d’autres appellations ou réalités nouvelles. Par delà ces nouveautés, dans quelle mesure de nouvelles techniques de production voient réellement le jour et s’imposent durablement ? Sur le plan agroalimentaire, les conflits conduisent-ils à des changements durables et profonds dans les modes de production agricole ?
Conditionnement et conservation
Dès 1806, l’Armée impériale s’approvisionne en conserves de Nicolas Appert. Depuis lors, les conserves de petits pois, de sardines à l’huile (Clair Fredj et Jean-Christophe Fichou, 2010) ou encore les boîtes de corneed-beef et les boîtes de ration de combat concourent à nourrir les militaires en opération. Dans son Grand dictionnaire de cuisine (1873), Alexandre Dumas se montrait élogieux à l’égard des moyens de conserver les aliments : « Les conserves sont une grande et précieuse ressource pour la marine et l’armée, ainsi que pour l’économie domestique. » L’importante consommation de sucre en 1915, la deuxième année de plus grande consommation à l’époque après 1913, s’explique par l’utilisation du sucre pour assurer la conservation des fruits. Plus récemment, à la fin du XXe siècle, la cuisine lors de la guerre en ex-Yougoslavie montre des soldats de l’ONU où la cuisine française se distingue, en particulier pour la fabrication du pain, illustrant le fait que l’ère des boîtes de ration présente ses limites. Outre les conserves, quels sont les autres moyens privilégiés pour consommer des produits frais des semaines ou des mois plus tard ? La question se pose également pour le poisson ou la viande. Les guerres conduisent-elles à des changements, des adaptations ou des transformations des procédés de conservation mis au point ? Comment s’organise le ravitaillement non seulement sur le plan alimentaire mais aussi pour les liquides consommés, en particulier l’eau ? Les conflits armés contribuent-ils à de grands changements techniques pour l’alimentation des populations ?
Transports et distribution
Le transport des denrées n’est évidemment pas le même en période de paix et en temps de guerre. L’acheminement du rata en première ligne aux soldats des tranchées de la Grande Guerre, la distribution de vivres aux populations civiles des territoires envahis lors de ce conflit ou encore le trajet effectué à travers l’Atlantique de viandes d’Argentine ou des États- Unis, de sucre de canne ou d’autres vivres du continent américain ne se posent pas dans les mêmes termes de 1914 à 1918 que dans les années précédentes. Au cours de la Grande Guerre, l’abattage de bêtes non loin du réseau des tranchées nécessite la mise en place d’installations spécifiques. À l’évidence, périodes de temps de paix et de guerre ne se superposent pas.
Par ailleurs, lors des conflits, se posent de multiples problèmes, aussi bien à propos de la vente des produits, de leur acheminement sur les lieux de consommation, de la mise en place de tickets de rationnement pour gérer la pénurie ambiante, de la situation plus particulièrement délicate des prisonniers de guerre, des personnes déplacées ou internées. La gestion de la pénurie par les États s’appuie sur une vaste propagande (affiches journaux magazines…). L’un des meilleurs exemples est la US Food administration créée en 1917 pour assurer le ravitaillement des troupes américaines et alliées, ainsi que celui de la population civile aux États-Unis et dans les pays alliés. La US Food administration assure la collecte de nourriture et gère la pénurie et le rationnement. Elle lance les meatless Mondays, le victory gardening par des campagnes d’affiches, des articles ou encore des cours (US School garden army) et promeut le slogan Food will win the war. Dans quelle mesure l’État parvient, ou non, à organiser un nouveau système de répartition des vivres ? Comment les entreprises se transforment-elles et participent-elles aux modifications qui marquent la société ? Quels problèmes techniques et sanitaires doivent être résolus afin de répartir les denrées ? L’impact des nouveautés techniques demeure-t-il effectif lors du retour à la paix ?
Modalités de soumission
Par le biais de leurs membres, le Centre de recherche sur les économies, les sociétés, les arts et les techniques (CRESAT, EA 3436) de l’Université de Haute-Alsace et les Archives nationales du monde du travail (Roubaix) projettent, pour la période contemporaine, une journée d’études sur le thème « Techniques et alimentation en temps de guerre ». La présentation de ces thèmes (productions alimentaires, recettes et cuisine ; conditionnement et conservation ; transport et distribution) n’exclut pas l’étude d’autres réalités susceptibles d’être prises en compte à cette occasion, notamment la question de l’énergie.
Les personnes désireuses de proposer une communication sont invitées à adresser leurs coordonnées, un résumé (une demi-page) de leur proposition d’intervention et la mention des sources envisagées à Ludovic Laloux (lclaloux@gmail.com), Hugues Marquis (hugues.marquis@univ-poitiers.fr), Gersende Piernas (gersende.piernas@culture.gouv.fr) ou Arnaud Péters (arnaud.peters@ulg.ac.be) avant le 20 octobre 2017. Les responsables de la journée d’études les en remercient.
Les communications retenues et le programme définitif de la journée d’étude seront connus pour le début du mois de novembre 2017.
Organisation
- Ludovic LALOUX : maître de conférences HDR en histoire contemporaine, Université de Bordeaux, CRESAT.
- Hugues MARQUIS : docteur en histoire, professeur agrégé, Université de Poitiers.
- Gersende PIERNAS : Archives nationales du monde du travail (Roubaix).
- Arnaud PÉTERS : Centre d’histoire des sciences et des techniques (Université de Liège).